Conférence d’introduction
20 avril 2021
Anne Debaar
En 1979, 70 ans après le voyage que Freud fit aux États-Unis, j’étais une étudiante de première année à la faculté de psychologie de l’UCL….le cours intitulé « introduction à la psychanalyse » était donné par un tout jeune professeur, Bernard Rimé … passionné par la question des émotions et de la psychologie sociale…pas du tout psychanalyste ……Par contre, son cours d’introduction reprenait la lecture d’un ouvrage de Freud : « 5 leçons sur la psychanalyse » .
Plus tard, dans mon analyse personnelle, j’ai construit un souvenir qui me paraît un peu étrange aujourd’hui…… on recule d’un an, 1978, Pour le coup, c’est moi qui suit en Amérique …..Dans la bibliothèque de ma high school, il y a 3 livres en français : l’un d’eux est ….du moins dans mon souvenir…: « la science des rêves » de Sigmund Freud…je l’emprunte….C’est étrange ….la science des rêves en français dans la bibliothèque d’une public high school ….
Quand est-ce que j’ai vraiment rencontré Freud pour la première fois ? Allez savoir …Est ce que c’était ce livre emprunté parce que j’avais envie de lire quelque chose dans ma langue…. ou est -ce que ce furent les « 5 leçons » proposées par ce professeur qui ne s’intéressait guère à Freud… ? 15 ans d’analyse ne m’ont pas apporté de certitudes….sur la question…
Et si on (re) lisait Freud ?
Il y a des textes que la doxa freudo-lacanienne, le politiquement correct du petit monde des analystes jugent nettement plus cruciaux dans la production de Freud…C’est évident…Cela fit d’ailleurs l’objet d’une discussion au sein de notre association ….Au QP tout se discute….1ère topique, 2ème topique, 1914 le Narcissisme, 1920 Au-delà du principe de plaisir ,….pulsion de mort, Freud avec ou sans Lacan….etc etc …C’est certain en 1909 lorsqu’il embarque sur ce bateau pour l’Amérique…. la première guerre mondiale n’a pas encore eu lieu…en 1909 Freud n’a pas encore pris la mesure de la question du narcissisme ni de la question de la pulsion de mort….….et pourtant c’est avec ce texte qu’on part aujourd’hui…5 leçons sur la psychanalyse ….Ce texte proposé comme objet pour un cartel par un tout nouvel arrivant dans notre association….
Je parle de ça parce que je crois que c’est un point éclairant sur comment ça marche au QP ? Disons que ce n’est pas nécessairement la doxa qui l’emporte …c’est, je veux le croire, le désir de chaque un….et j’en profite, puisqu’il y a devant moi des visages qui ne me sont pas familiers pour parler un peu de notre association …On peut trouver sur le site du Questionnement les grandes lignes de ce qui motiva quelques analystes à créer cette association dans les années 1980….dans un paysage ou d’autres associations réunissant des analystes d’orientation lacanienne existaient déjà…Je veux croire que ce qui fait notre particularité c’est précisément que chacun est invité singulièrement à y suivre le chemin de ses propres questions pas sans Freud et Lacan bien sûr, mais avec d’autres aussi du côté de la philosophie, de l’art, des sciences….et dans un mouvement d’articulation avec nos pratiques cliniques singulières là où nous sommes confronté en 2021 à d’autres difficultés, à d’autres discours que ceux auxquels Freud ou Lacan ont eu affaire …Au fil de l’existence du QP et de notre expérience de cette association , nous croyions aujourd’hui pouvoir accueillir et offrir un espace de travail pour des lectures et des recherches qui sont parfois très pointues (je pense notamment aux travaux de Christian Fierens ou de Pascal Nottet et aux Journées que nous avons consacré ces derniers mois à ces travaux) mais aussi un espace qui soit accueillant pour les travaux et les questions des plus jeunes, de ceux qui partent à la découverte de la psychanalyse et de l’inconscient…
Dans mon propos aujourd’hui, je vais essayer de dessiner les grandes lignes d’ un paysage, de contextualiser un peu les années qui précèdent ces 5 conférences . Nous allons aller à la rencontre d’un certain Freud , Qui est ce Freud de 1909 ? Quel chemin a-t-il déjà parcouru ?
Je ne vais pas pouvoir retracer tous les détails de ce chemin. Quand il prend ce paquebot pour traverser l’Atlantique, Freud a déjà 53 ans …ce n’est plus un jeune homme…. Il est fort probable que d’autres après moi continueront ce parcours de contextualisation au fil des thèmes qu’abordent ces 5 leçons….
Dans ce qui va suivre je vais puiser mon inspiration à 4 sources : La première : l’excellente biographie « Sigmund Freud en son temps et dans le nôtre » d’Élisabeth Roudinesco parue en 2014.la seconde : La biographie écrite par Ernest Jones dans les années 50 ….Une très belle fiction sur la vie de Saint Sigmund … …La troisième , c’est une petite partie de l’immense correspondance de Freud et plus particulièrement les échanges qu’il aura avec ses disciples autour de 1909 et le récit qu’il fait de son voyage en Amérique à travers un petit journal de bord…..et enfin 4ème source l’ouvrage de Henri Ellenberger « Histoire de la découverte de l’inconscient ». Pas un fan de Freud mais c’est un bon historien…
Freud est né en 1856 à Freiberg dans le Royaume de Saxe en Prusse . Sa famille s’installe définitivement à Vienne 4 ans plus tard.
Il s’est passé toute sorte de chose dans les années qui précèdent leur arrivée…Les peuples d’Europe étaient plutôt d’humeur révolutionnaire…et l’émancipation des juifs fait partie des idéaux révolutionnaires. Vienne n’y a pas échappé mais en 1848 la révolution où la ville de Vienne était pourtant grandement impliquée a échoué et un empereur est revenu sur le trône. :François Joseph 1er et son épouse l’impératrice Sissi… A l’époque, Il y a toutes sortes de conflits dans la zone entre l’Autriche et la Prusse. Lorsque la famille de Freud s’y installe, , la riche et libérale Vienne est cependant devenue un vrai refuge pour les juifs d’Europe. Comme le dit Roudinesco, Les juifs viennois peuvent presque se permettre d’être simplement viennois . Dans la communauté juive elle-même , dès le XVIIIème siècle, Le mouvement des lumières avait aussi donné naissance au mouvement de la Haskalah avec notamment la figure de Moses Mendelssohn philosophe qui en fils des lumières lui aussi soutenait la séparation du politique et du religieux et encourageait les juifs a l’intégration. J’ignore si les ancêtres de Freud était des lecteurs de Mendelssohn mais La famille de Freud s’inscrivait en tous les cas plutôt de ce côté-là de l’histoire…C’était une famille de commerçant d’origine juive libéraux et peu religieux
Adoré par sa toute jeune maman Amalia dont c’est le premier enfant, Freud déjà tout petit se sent prédestiné à un destin exceptionnel et rêve de gloire…son héros Hannibal…le génial stratège carthaginois qui défia Rome…et se lança dans une cause perdue….
1867, Freud a 11 ans, c’est l’acte de naissance de l’Empire austro hongrois et Vienne en est le centre . Tous les juifs citoyens de cet empire, obtiennent enfin l’égalité des droits.
…..
La belle intégration viennoise de la communauté juive et la paix relative dans laquelle elle vit n’auront qu’un temps. En 1873, le magnifique opéra de Vienne vient juste d’être achevé. Freud a 17 ans. Une grande crise économique connue sous le nom de « grande déflation » frappe la ville . Cette crise liée à la spéculation immobilière va affecter le monde pendant plus de 10 ans…. Et va de nouveau changer la donne pour les juifs de Vienne et d’Europe……L’antijudaïsme traditionnelle du monde chrétien va prendre un nouveau visage : celui de l’antisémitisme . L’antisémitisme comme mot, comme idée avec sa notion de races supérieures et inférieures apparaît entre 1860 et 1879 . Avant cela, Les juifs étaient ostracisés, haïs, persécutés pour leur appartenance à la religion juive mais la notion de race qui existait par ailleurs pour les humains qui n’étaient pas de couleur blanche n’entrait pas vraiment en jeu à leur encontre du moins………A partir de ces années -là, ce n’est plus l’anti judaïsme mais bien l’antisémitisme qui va se diffuser dans toute l’Europe jusqu’au drame effroyable que l’on connaît. Freud est né dans une famille plutôt libérale et fort peu religieuse mais le contexte sociétale et l’antisémitisme vont d’une certaine manière le confronter à la judaïté… Plus tard, Extraire la psychanalyse de la seule communauté juive semble avoir été un enjeu important pour lui…Au passage il faut noter que Freud a aussi eu un rapport particulier avec une autre religion , la religion catholique…Dans sa prime enfance, sa « nannie « tchèque, celle dont il dira dans une lettre à Fliess qu’elle fut son « professeur de sexualité », l’entraina avec elle dans les églises…. lui raconta d’innombrables histoires de diable, de saints, de péchés, de confessions et de pardon…
Adolescent, Freud se passionnera pour la philosophie et particulièrement pour la philosophie matérialiste. Ce terme de « philosophie matérialiste « est né avant Marx, au XVII pour désigner les philosophies qui nient l’existence de substances spirituelles (les « âmes ») et ne reconnaissent que celle des substances physiques et corporelles…2 de ces grands représentants au XIXème siècle seront Charles Darwin (l’origine des espèce 1859) et Claude Bernard père de la physiologie qui découvre le principe d’homéostase en 1850… On voit bien comment à cette époque philosophie et science sont encore très proches parentes….Le jeune Freud en tous les cas se méfie de la métaphysique et de l’idéalisme… Pour ce jeune homme, les religions quel qu’elles soient sont une entrave à la pensée…
Sur le thème Freud et les philosophes j’espère que nous aurons l’occasion de recevoir un invité qui nous éclairera plus que je ne peux le faire moi-même….c’est dans nos plans….
En 1873, à 17 ans, Freud s’engage finalement dans des études de médecine. A cette époque, les nombreuses découvertes anatomo cliniques, biologiques, physiologiques des 50 dernières années sont en train d’emporter la médecine vers la science et loin de tout romantisme … Même les maladies de l’âme sont en voie d’être extirpées de la philosophie spéculative pour entrer dans le champ de cette science… c’est ce qui s’enseigne à Vienne où étudie le jeune Freud….et ça lui convient….jeune diplômé, le voilà devenu chercheur dans les laboratoires du père de l’histologie Ernst von Brücke….…excellent chercheur paraît-il…., mais en 1883 âgé de 27 ans, il quitte pourtant le monde des laboratoires ….il n’y a guère de débouché, il ne vient pas d’une famille vraiment aisée, ce n’est pas bien payé et comme il est tombé fort amoureux de la jolie Martha Bernays qu’il veut épouser il doit gagner correctement sa vie…Il a 27 ans
Il va s’orienter vers le traitement des maladies nerveuses….
A l’époque, le traitement des maladies nerveuses restent encore vaguement baignées dans les séquelles plus ou moins spiritualistes des théories sur le magnétisme animale de Mesmer… Sur ces questions qui concernent l’histoire de la psychiatrie dynamique, le travail d’Ellenberger publié en 1970 sous le titre « l’histoire de la découverte de l’inconscient . Histoire et évolution de la psychiatrie dynamique» est assez éclairant…On y voit comment on va passer du magnétisme à l’hypnose, et comment l’hypnose, cette vieille pratique humaine liée au monde des shamans et des sorciers, va ,à partir du XVIIIème siècle, se balader alternativement entre les champs du spirituel et le nouveau monde scientifique…entrant et sortant depuis lors de la science avec une belle régularité …
Retour à Freud qui veut donc se lancer dans le traitement des maladies nerveuses…..
…6 ans auparavant en 1877, Freud, encore étudiant en médecine, a rencontré un médecin viennois, d’origine juive lui aussi, du nom de Joseph Breuer. Ils deviennent amis. Breuer a 14 ans de plus que Freud. Ils s’intéressent tous les 2 à la philosophie .Breuer est un médecin bien installé avec une riche clientèle …C’est un homme généreux avec ses amis. II aide et conseille le jeune Sigmund….il discute ensemble : hypnose…hystérie…En 1880, alors qu’ils sont déjà amis, Breuer a essayé de traiter une certaine Bertha Pappenheim, amie de la fiancée de Freud, qui présentait de nombreux symptômes forts étranges…… le jeune Freud s’intéressa d’emblée à cette histoire où il était question de trauma , de sexualité, de réminiscence…d’hystérie….
L’usage du terme de névrose depuis la fin du XVIIIème existe déjà il s’agit des maladies nerveuses sans lésions identifiables
La question du rôle de la sexualité dans les névroses est une question qui n’ avait pas attendu Freud…
La question de l’hystérie, des femmes et du sexe est une histoire fort ancienne…Hippocrate concevait l’utérus comme un petit animal habitant le corps de la femme et se jetant sur d’autres organes provoquant des crises semblables aux crises d’épilepsie…Galien au IIIème siècle après JC remis un peu l’affaire en cause et la connecta avec la rétention de la semence féminine ….Au moyen-âge, on recule, l’hystérie féminine est surnaturelle, diabolique….c’est le terrible temps des sorcières…où des milliers de femmes mourront sur le buchers de l’inquisition…. Au XVI ème avec la renaissance on relit Le grec Galien on parle de passion…. …Attention, il faudra attendre le XIX ème siècle et Karl Ernst von Baer pour que soit découverte en 1827 l’existence de l’ovule c’est à dire le rôle que la femme joue dans la procréation jusqu’à là , la femme était pensée comme de simple réceptacle du petit homoncule que l’homme déposait en elle…. Du côté du traitement , Ce n’est pas très glorieux non plus…l’hystérie quitte à peine la sphère religieuse particulièrement meurtrière pour les femmes qu’elle tombe dans les mains de la toute jeunette science sur toutes sortes de saignées et autres cures magnétiques qui visait à rééquilibrer les fluides liés à l’ appétit sexuel féminin supposé débridé…Je vous conseille pour vous en faire une idée des fantaisies du XVIII siècle l’ouvrage de De Bienville publié autour de 1750….et qui s’appelle « Nymphomanie ou traité de la fureur utérine » on le trouve facilement en lecture libre sur internet……Incroyable
http://www.psychanalyse.lu/articles/BienvilleNymphomanie06.htm.
Même si le mot sexologie n’avait pas encore vu le jour (il apparaitra en 1911) .Fin du XIXème, les questions sexuelles étaient tout à fait dans l’air du temps. Mais le fait que la science et la médecine s’y intéresse était cependant assez neuf….Il y avait bien eu un livre publié par un médecin français Nicolas Venette en 1696 qui portait le titre « Tableau de l’amour conjugal » et où pour la première fois dans un ouvrage qui se voulait scientifique il était question de sexualité humaine mais l’auteur avait oublié d’y parler des femmes… En 1758 un autre médecin avait publié un livre sur la masturbation et ses conséquences néfastes…C’est aussi dans ces années-là que De Bienville publie son ouvrage « La nymphomanie ou traité de la fureur utérine »
Mais Il faudra attendre Darwin en 1859 pour entrer dans une certaine modernité scientifique …La deuxième moitié du XIX verra la naissance des travaux de Krafft Ebbing germano autrichien comme Freud qui avec sa Psychopathia Sexualis publiée en 1886 fera un véritable best-seller …sorte de catalogue des perversions qui reflétait l’opinion dominante alors selon laquelle toute sexualité non orientée vers la reproduction était déviante…Il y a eu aussi dans cette période les travaux du britannique Havelock Ellis, un contemporain de Freud qui publia entre 1897 et 1910 « Études de psychologie sexuelle ». Freud et lui auront des contacts au moins épistolaires….
Sur le thème des maladies dites nerveuses, dans le monde occidental de la fin du XIX siècle . Au moment où Freud s’intéresse à ces questions , c’est l ‘École française de psychiatrie avec Berheim (École de Nancy) d’un côté et l’école de la Salpêtrière avec Charcot de l’autre qui sont considéré comme à la pointe de la recherche sur ces questions…Voilà donc Freud en 1885 (il a 29 ans) parti pour venir se former à Paris à la Salpetrière avec Charcot et les hystériques….
La conception que Charcot se faisait de l’hystérie était largement inspirée des travaux que Briquet avait publié 26 ans plus tôt.
… En 1859, Briquet publie un « Traité clinique et thérapeutique de l’hystérie ». Il s’oppose à la thèse qui circulait alors selon laquelle des frustrations sexuelles seraient à l’origine des crises . Son étude porte sur 430 patients hystériques. IL dénombre un homme pour 20 femmes. Il constate que les religieuses des couvents sont peu touchées alors que les prostituées le sont (d’où son rejet de la théorie de la frustration sexuelle)…Il découvre que l’hystérie est souvent la conséquence d’émotions violentes, de chagrins prolongés, de conflits familiaux, d’amours déçues chez des sujets prédisposés et hypersensibles… (Ellenberger) C’est à peu près la conception que Charcot reprendra concernant l’hystérie.
Charcot avait en plus une hypothèse et son travail consistait à mener des recherches sur cette hypothèse : l’état hypnotique est similaire aux état d’un sujet lors une crise d’hystérie . Les hystériques souffrent d’hypnotisme…..Pour Charcot l’hystérie était une maladie fonctionnelle c’est à dire un dérèglement physiologique réversible de tout ou partie de l’organisme, sans atteinte organique ni trouble métabolique majeur.
Selon lui , l’hystérie cependant avait des origines traumatiques mais sur fond de problèmes héréditaires Pour lui ces femmes (voire ces homme) issus surtout de milieux populaires dans ce grand hôpital public de Paris où il officiait avaient été victimes d’ abus et de violences y compris sexuelles…. En hypnotisant les hystériques…il ne cherchait pas vraiment à les soigner mais il cherchait à démontrer le bien-fondé de sa théorie….Les états hystériques et les états hypnotiques étaient une seule même chose…Charcot produisait devant un parterre de médecins venus de l’Europe entière des symptômes et des crises sous hypnose qu’il faisait ensuite disparaître en arrêtant l’hypnose ….Ce fut la guérison de paralysies hystériques spectaculaires qui firent la réputation de Charcot mais Charcot s’intéressait nettement plus à la recherche et à l’enseignement qu’aux traitements…Et quand on lit Ellenberg on se dit qu’en effet la suggestion a dû jouer un rôle de premier plan dans ces grands spectacles….
De l’autre côté il y avait l’école de Nancy avec notamment Liébault, l’hypnotiseur et Bernheim, lui aussi pendant longtemps grand praticien de l’hypnose….
En démontrant que l’hypnose était surtout le résultat d’une suggestion verbale (et critiquant au passage) les résultats de Charcot, Bernheim avait ouvert la voie à la psychothérapie par la suggestion…Plus besoin de l’hypnose …. C’est à lui que nous devons le nom : « psychothérapie » Du côté de Bernheim, il s’agissait surtout de la parole comme thérapeutique …. pas encore de la parole du patient mais bien de la parole suggestive du thérapeute.
Voilà donc ce que Freud découvre à Paris…et qui vient confirmer des hypothèses dont il avait l’intuition…l’hystérie est un trouble fonctionnel, les symptômes ont un sens caché, il y a quelque chose de l’ordre du trauma et du sexuel qui est en jeu dans les névroses…et enfin, la parole peut servir d’outil thérapeutique…
Il me semble que c’est essentiellement et d’abord sur ce dernier point que Breuer et Freud vont faire rupture avec ce qui se passait à cette époque du côté de la prise en charge thérapeutique de ces malades …Ils vont se mettre non plus à regarder ou à provoquer les manifestations de l’hystérie pour faire progresser le savoir et tester leur hypothèse, ou à simplement hypnotiser ou suggestionner les hystériques pour les « thérapeutiser » (encore qu’il le feront aussi et on en a de parfaites illustrations dans les études sur l’hystérie)….mais ils vont commencer à écouter ces femmes en souffrance…et dans le chef de Freud au moins , à tirer des conséquences de ce qu‘il va entendre. Cela paraît un chemin logique?… Et pourtant aujourd’hui comme hier …commencer par simplement écouter le patient, c’est loin d’être gagné…
Notons que ce ne sont pas tout à fait les même femmes que celle qui hantent les grands hôpitaux publics parisiens …..les femme que Freud va rencontrer sont des femmes de la bourgeoisie Viennoise de la fin du XIXème. Elles viennent de milieux aisés mais Elles vivent dans une société très patriarcale qui les infantilise totalement. Ces femmes n’ont aucun pouvoir hors de leur petit univers domestique et n’ont quasi aucune liberté si ce n’est celle que veut bien leur accorder leur père ou leur mari….ce sont ces femmes-là, issues de la bourgeoisie viennoise juive, des femmes souvent cultivées , intelligentes, que Breuer d’abord, Freud ensuite, vont rencontrer dans leurs consultations …et il faut bien rendre cela à toutes ces femmes : c’est grâce à elles, à leurs paroles enfin entendues que la psychanalyse va pouvoir s’inventer…
1895….Différents ingrédients sont réunis : Freud est un homme de 35 ans qui a été formé et qui croit à la science de son siècle…Il est convaincu depuis son jeune âge qu’il fera d’importantes découvertes. Il a accepté l’idée d’occuper une position potentiellement marginale par rapport aux milieux académiques viennois. Il pratique en cabinet une médecine libérale. Il est soutenu par son vieil ami et mentor de la première heure Joseph Breuer (soutenu ….jusqu’à un certain point nous allons le voir) Il a rencontré Charcot et Bernheim en France. Il s’est formé auprès d’eux. La question de la sexualité en position causale et la question de la parole sur le versant du traitement sont acquises pour lui.
Il a écouté au cours de ces premières années de pratique suffisamment de patientes pour avoir aussi perçu le rôle de la relation transférentielle comme un facteur essentiel dans le traitement (sur ce point Breuer et lui s’oppose radicalement ). . Il va pourtant réussir à convaincre un Joseph Breuer très réticent de publier ensemble « Études sur l’hystérie ».
Les études sur l’hystérie sont parfois considérées comme l’ouvrage qui signe l’acte de naissance de la psychanalyse ….Et pourtant on est encore loin de ce que nous appelons la psychanalyse. Ce qui est logique, puisque après tout à ce moment-là Freud n’a pas encore découvert l’inconscient….. Il s’agit en réalité de cures cathartiques avec encore quelques fragments d’hypnose et beaucoup de suggestions…. Les patientes sont invitées à se remémorer des souvenirs traumatiques…Mais au moins, cette fois il y a quelqu’un qui les écoute parler et qui choisit de tenir compte de ce qu’elles disent…..Freud au moment de la parution des « Études sur l’hystérie » est en tous les cas convaincu de 2 choses au moins : les hystériques souffrent de réminiscence. Leurs symptômes sont provoqués par une défense psychique contre un traumatisme sexuel réel. (moins de 2 ans après cette publication il remettra radicalement la réalité du trauma en cause ).Et l’autre chose dont il est convaincu en 1895 c’est que la méthode qu’il utilise marche …Elle fait disparaître les symptômes….
Si j’évoque aujourd’hui ces « études sur l’hystérie », c’est parce que ,c’est dans cette ouvrage que sera publiée pour la première fois l’histoire d’Anna O, Mademoiselle Bertha Pappenheim de son vrai nom . Patiente que Breuer avait traité en 1880 et dont il avait longuement parlé à l’époque à un jeune Freud fasciné par cette histoire ….
Lorsqu’il prendra la parole en 1909 à La Clark University c’est l’ Anna O de 1880, l’Anna O de Breuer qu’il fera monter avec lui sur la scène….
Anna O est une histoire freudo-breuerienne, un personnage de l’histoire de la psychanalyse…. La véritable Bertha Pappenheim ne se reconnaitra jamais dans le portrait que Freud et Breuer firent d’elle à travers cette si célèbre « Anna O » et refusera d’ailleurs toujours de commenter cette histoire….Après la cure avec Breuer, elle séjournera à plusieurs reprises dans différents centre de cure psychiatriques…Breuer n’avait pas du tout guéri Bertha Pappenheim……Cette première histoire de cas recèle déjà bien des questions que posent encore aujourd’hui les études de cas entre réalité et fiction….au service de la théorie…
En 1909, d’ailleurs, La véritable Mademoiselle Pappenheim, qui n’est plus une jeune fille elle non plus, a rompu avec la névrose et les thérapies en tout genre et se trouve elle aussi aux USA en tant que conférencière pour y défendre ses convictions sociales, politiques et surtout féministes dans un congrès qui porte sur la prostitution …. Mais avant d’en arriver à ce moment de 1909, je vais encore un peu me balader avec vous si vous le permettez …
La rupture de la longue amitié entre Freud et Joseph Breuer aura lieu dans les 2 années qui suivent la publication des « Études sur l’hystérie » Il y avait des désaccords entre eux sur l’étiologie sexuelle des névroses, sur le rôle du transfert dans le succès des cures. Breuer ne pratiquait déjà plus les cures cathartiques lorsqu’il accepte de publier conjointement avec Freud « les études sur l ‘hystérie » juste pour lui faire plaisir…
Et pourtant en 1909 Freud persiste et signe dans sa première leçon et donne la paternité de l’invention de la cure analytique à Breuer avec lequel il n’a plus aucun contact . Roudinesco fait des hypothèses sur le rapport très particulier que Freud entretenait avec ses meilleurs amis masculins …Il venait à l’époque de sa rupture avec Breuer de rencontrer Willem Fliess….autre vaste chapitre assez surprenant sur la névrose freudienne mais que je n‘ouvrirais pas.. .
Quoi qu’il en soit, après cette première publication, Freud était bien décidé à défendre ses nouvelles convictions. Ce qu’il fait dès l’année suivante (1896) en publiant seul cette fois un article intitulé « l’hérédité et l’étiologie des névroses » où apparaît pour la première fois le mot « Psychoanalyse » et où il propose une première classification personnelle et inédites des névroses rompant les amarres avec l’école de Charcot sur le chapitre de l’hérédité mais aussi sur le chapitre d’un possible traitement : les névroses, pour Freud, pouvaient être traitées avec succès par la « psychoanalyse »….Pour ce Freud de 1896 il y a au moins 2 névroses selon que le trauma sexuel réel a été vécu sur le mode passif ou actif : l’hystérie d’un côté avec une majorité de femme et la névrose obsessionnelle de l’autre avec sa surreprésentation masculine…A ce moment-là Freud est encore convaincu de la réalité du trauma sexuel …Le doute s’installera vite…dans les mois qui suivent…et le forcera à penser pour la première fois la réalité d’une autre scène …
1897 Freud écrit à Fliess « je ne crois plus à ma « neurotica ». Freud ne croit plus à la réalité d’inceste systématique dans les familles de névrosés … Il a pu soupçonné son propre père, le pauvre Jacob ….et il en éprouvera de la culpabilité, mais il doit bien constaté qu’il n’est lui-même pas le moins du monde attiré sexuellement par ses propres enfants…Il en a 6 …. La découverte de l’inconscient va pouvoir commencer…
Freud ne va pas simplement reculer et se dire que les très nombreux critiques dans le milieu psychiatrique et académique de son époque avaient raison contre lui , que tous ces souvenirs de traumatismes sexuelles dont parlaient les femmes avaient été induits par la suggestion…Il sait que c’est faux. Il sait qu’il n’a pas suggéré cela… Et il va donc chercher à comprendre…Il va découvrir l’inconscient parce que l’existence d’une autre scène active dans la vie psychique et qui reste en dehors du champs de la conscience est la seule hypothèse qui est à même d’éclairer une série de phénomènes… jusqu’alors énigmatiques….C’est au travail d’exploration de tous ces phénomènes qu’il va consacrer les années qui vont suivre …
1900 Freud a 44 ans, il publie « l’interprétation du rêve» et construit pour la première fois une représentation de l’appareil psychique cohérente avec ses premières découvertes : Ce sera la première topique.
1901 « Psychopathologie de la vie quotidienne »
1905 « Dora » et « « le mot d’esprit » « trois essais sur la théorie de la sexualité »
1907 « l’avenir d’une illusion »
1908 « les théories sexuelles infantiles » le roman familiales du névrosés »
1909 « Le petit Hans » , « L’homme aux rats ».
Parallèlement à la publication de ses recherches Freud va doucement sortir de son relatif isolement…Roudinesco insiste sur ce point….le « magnifique isolement » dont Freud aimera beaucoup parler par la suite fut surtout un fantasme freudien qui donnait satisfaction à certains de ses désirs névrotiques de héros rejeté et solitaire…Après la publication de la Traumdeutung », Il a en réalité rapidement bénéficié d’une certaine reconnaissance y compris dans les pays anglo-saxons …Ses théories rencontraient des critiques parfois virulentes mais dans la première décennie de 1900, Freud était déjà un médecin et un penseur qui comptait dans le champ de l’exploration du psychisme humain…..
A partir de 1902, il organise chez lui des soupers hebdomadaires avec un cercles d’amis et de personnes intéressées par ses travaux… Autour de sa table, il y aura chaque mercredi une bonne vingtaine d’hommes, parmi eux, une majorité de médecins d’origine juive…. Qui formèrent « La société psychologique du mercredi » …Ces messieurs furent ses premiers disciples mais aussi les interlocuteurs privilégiés de ses premières découvertes… Certains parmi eux devinrent psychanalystes. La société du mercredi sera dissoute par Freud en 1907. 2 ans plus tôt en 1905 Carl Gustav Jung alors assistant de Bleuler à Clinique psychiatrique suisse de Burghölzli prend contact avec Freud. La France est passée de mode, Burghölzli à l’époque est le haut lieu d’innovations en matière de traitements psychiatriques….Des psychiatres viennent de partout pour s’y former…Le temps où l’on se contentait de parquer les malades mentaux et de réprimer leur déviance sans chercher à les traiter était révolu et la jeune équipe de médecins suisses s’intéressaient aux écrits et aux propositions thérapeutiques du viennois ….Pour Freud cette rencontre avait beaucoup d’importance pour 2 raisons au moins. D’une part Jung n’était ni juif ni viennois et Freud voulait voir ces découvertes se répandre dans monde. D’autre part Bleuler et son équipe travaillait sur les maladies mentales et en particulier sur la schizophrénie et Freud voyait là une grande opportunité de mettre ces toutes nouvelles découvertes à l’épreuve de la folie…
En dissolvant la société du mercredi et en créant en 1907 la première association psychanalytique de l’histoire « La société psychanalytique de Vienne », Freud veut pouvoir accueillir de nouveaux membres venus d’ailleurs. Il sera progressivement rejoint par les noms que l’histoire de la psychanalyse a retenu
Jung , Abraham, Eitington, Jones , Ferenczi le rejoindront entre 1907 et 1908
Qu’est ce qui est acquis pour lui en 1909 :
Je vais le résumer très fort mais ces 5 conférences nous permettront je crois d’ouvrir ces différents points : Il a une représentation de l’appareil psychique : la première topique
Il a découvert l’inconscient, le refoulement, la résistance , le conflit entre désir et idéal, la composante sexuelle qui est au cœur des désirs refoulés, la libido, le complexe d’œdipe, la notion de régression et le transfert…..il a une définition du symptôme comme substitut d’un désir refoulé . D’un point de vue technique il a recours exclusivement à l’association libre, technique reposant sur une logique liée au processus de substitution psychique nécessaire au franchissement des résistances . Il interprète les rêves et les actes manqués avec cette même technique…
A partir de 1904 certains parmi ces disciples se mirent à expérimenter sur eux même et rapidement sur leurs proches… …la cure freudienne…
Pendant ces 15 premières années, de découvertes et d’effervescence, une grande confusion aura régné entre vie privée, vie familiale et vie professionnelle de tous ces hommes…A l’époque il n’y a pas de femmes dans le groupe…La première arrivera en 1910…(.Il s’agissait de Margarete Hilferding…social-démocrate, lectrice de Karl Marx, elle quittera le cercle freudien en même temps qu’Adler)
On analysait la femme de, on épousait la fille de, les pères analysaient leurs enfants…les hommes analysaient leur maitresse, les nouveaux analystes s’analysaient entre eux et Freud analysait et supervisait tout le monde…distribuant même au passage les autorisations de mariage ou de séparations …Dans tout cela le secret professionnel était chose fort relative puisque l’on discutait ensemble ou en congrès de cas et donc de soi-même, de sa femme ,de sa maitresse, de son rival….etc etc….Freud échangeait tout azimut un nombre incroyable de lettres avec chacun dévoilant aux uns les petits secrets des autres pour servir la cause…. Quel prix payeront les générations suivantes d’analystes à ces imbroglio… ? C’est aussi un vaste chapitre….
Vienne , décembre 1908 : Freud écrit à Jung pour l’informer que le psychologue Stanley Hall , Président de la Clark University à Worcester dans le Massachussetts l’a invité aux États-Unis pour donner des conférences sur la psychanalyse. Il est désolé…il doit décliner…Il ne peut se permettre de suspendre son travail en cabinet pendant plusieurs semaines….Il a une famille à entretenir….Quelques mois plus tard Hall réitère son invitation…les dates ont changé . Ces conférences auront lieu à fin de l’été pendant la traditionnelle période de congé de Freud et cette fois il peut accepter…Il est ravi… mais il semble plutôt dans la perspective d’un voyage qui serait surtout d’agrément…. « une grande envie de voir au moins une fois dans sa vie un porc-épic… » Dans ce que j’ai lu de la correspondance qui précède ce voyage , Freud n’a pas vraiment l’idée d’un enjeu fondamental…il écrit au pasteur Oskar Pfister avec lequel il correspond depuis peu que la présence de Jung rend le voyage « important » Jung est en effet lui aussi invité. Freud propose à Ferenczi de les accompagner …Le récit de ce voyage, tel qu’il nous apparaît aujourd’hui à travers ce que les uns et les autres en ont raconté , à travers les lettres que Freud envoyait à sa famille, à travers le journal de bord qu’il a tenu, est assez drôle et émouvant…On y voit un Freud fasciné par la première classe de son transatlantique…un Freud préoccupé par sa garde-robe ou par ce qu’il va pouvoir ou non digérer…Un Freud tout fier de ne pas avoir le mal de mer…». Le Freud qui monte sur le paquebot Georges Washington n’est pas du tout un conquistador ….ce n’est pas le Freud-Général Hannibal…mais plutôt un touriste un peu émerveillé, un quinquagénaire qui n’a jamais quitté l’Europe et qui est assez enjoué par la perspective d’une aventure avec des amis … ….Avant la traversée il écrit une dernière carte à sa famille « le paquebot est magnifique. L’hébergement et la nourriture dépassent toutes les attentes…… .La cabine est petite mais extrêmement élégante et elle ne manque de rien »…..dans le journal de voyage qu’il tient pendant ce périple, il écrit à propos du bateau « Totalement féérique » « On est invité dans le château d’un monsieur très distingué, il dispose de tout – et semble t-il gratuitement. On en oublie qu’on a déjà payé 600 Deutsch mark pour la semaine » ….Tout lui plait …Il raconte la nourriture qu’il trouve délicieuse au début un peu moins bien à la fin……les chaises longues à son nom qui le fascinent….la taille parfaite de sa valise …la « malle monstre » de Ferenczi et d’innombrables détails sur la météo…
« Nous nous entendons à merveille et ne sommes jamais à court de sujet de conversation….» écrit-il à propos de leur trio…. Pour faire passer le temps, les 3 hommes bavardent,
Il y a les joutes entre Freud et Jung qui prétendent tous 2 interpréter fort sauvagement les rêves ou les petites manifestations symptomatiques de l’autre…balançant à tout va leurs interprétations….genre « votre rêve exprime un désir de mort à mon égard très cher » « oh le vôtre parle de votre féminité archaïque refoulée , cher Maitre » … Le 29 août 1909 les 3 hommes aperçoivent enfin la statue de la liberté et Freud prononce ces mots : « Si seulement ils savaient ce que nous leur apportons »….L’histoire de « ils ne savent pas que nous leur apportons la peste » est, comme nous le savons aujourd’hui une légende strictement lacanienne….
Ils débarquent enfin à New York . Ils sont accueillis par Abraham Brill. Bril est né lui aussi en Autriche…A l’âge de 15 ans il s’ embarque seul pour l’Amérique…il réussit à financer ses études de médecine et revient en 1907 se former en Europe auprès de Bleuler et de Jung à Burgholzly…C’est par eux qu’il a découvert le travail de Freud. Il deviendra le premier psychanalyste à pratiquer aux États-Unis
Du coté de Freud, sa première impression de l’Amérique, il la résume en un mot :« assourdissante » Freud n’est pas fasciné par l’Amérique ni par les américains… » « J’ai déjà vu tant de choses plus belles, mais bien sûr, rien de plus grand ni de plus débridé » Peu avant de débarquer, dans son journal il écrivait : « le Metropolitan Museum est mon premier objectif. Il renferme les plus belles antiquités grecques ». Les 3 hommes accompagnés de Bril font du tourisme à NewYork et se rendent ensuite à Worcester pour les célébrations prévue à La Clark University.
A la Clark, Il y a du beau monde…Outre les psychiatres et les psychologues, il y avait là , Franz Boas, père fondateur de l’anthropologie américaine, Albert Michelson et Ernest Rutherford tous 2 prix Nobel de physique, William James Philosophe et psychologue qui avait publié en 1890 The principle of psychology , On peut voir sur la célèbre photo de groupe Solomon Carter Fuller , petit-fils d’esclave noir et premier psychiatre noir de l’école de médecine de l’université de Boston…
A cette époque, sur la côte est des États Unis, les conceptions et le traitements des maladies nerveuses ne sont pas très différentes de ce qui se pratique en Europe. C’est en Europe d’ailleurs qu’on vient se former… 2 courants principaux s’opposent : Les somaticiens d’une part convaincus qu’il y a un substrat et une causalité somatiques aux maladies nerveuses et les « psychothérapeutes » qui ne croient pas à la seule causalité somatique et s’intéressent au travaux des chercheurs européens dont Janet, Bleuler, Jung et Freud.
Néanmoins, nous sommes en Amérique et on ne rigole pas avec le puritanisme et les ligues de vertu…La séparation entre le bien et le mal a une netteté dans l’Amérique de ce début du vingtième plus tranchante que dans la vieille Europe. La sexualité c’est dans le mariage….Quelle que soit l’approche thérapeutique proposée elle doit être mise au service de cette morale civilisée d’une nation industrieuse…La visée thérapeutique ne doit pas s’écarter de cette norme…On s’intéresse à la jouissance féminine par exemple …Est ce pour le plaisir des femmes ? pas exactement…on s’intéresse à la jouissance féminine pour la paix des ménages et des familles …. …Une femme satisfaite fiche la paix à son époux qui peut dès lors se consacrer non pas à sa maitresse mais bien à la production des biens ou du capital. Je blague à peine… Ce qui intéresse l’Amérique, c’est que cette libido qu’on ne peut nier , ne vienne pas mettre de désordre dans le grand projet puritain et capitaliste du nouveau monde. C’est dans ce contexte que Freud, le viennois , va se lancer sans aucune note et en allemand dans la première de ces 5 conférences.
Un mois plus tard, Sur le bateau du retour vers l’Europe, il écrira à sa fille Mathilde « L’Amérique a été une machine folle. Je suis heureux d’en être sorti , plus, de ne pas devoir y rester….Mais ce fut intéressant au plus haut point et sans doute important pour notre cause. Tout bien pesé on peut parler d’un grand succès »
Bien plus tard dans l’auto portrait qu’il rédigera en 1925 « Sigmund Freud présenté par lui-même », il écrira : « En Europe, je me sentais presque un peu méprisé, là-bas, je me voyais reconnu par les plus grands comme leur pair. Quand je suis monté en chaire à Worcester pour présenter mes 5 conférences sur la psychanalyse, ce fut comme la réalisation d’un rêve diurne incroyable. La psychanalyse n’était donc plus une chimère, elle était devenue une part importante de la réalité »….